Depuis quelques semaines, Pékin rivalise d’imagination pour mater toute éventuelle rébellion des Ouïghours, une ethnie musulmane turcophone peuplant la province du Xinjiang, située au croisement des «nouvelles routes de la soie» (ou «une ceinture, une route»), stratégie économique chère à Xi Jinping.

Sous prétexte de lutte antiterroriste, l’Assemblée régionale a voté la semaine dernière une série de quinze nouvelles interdictions, mises en service dès samedi. Les «barbes anormales» sont désormais prohibées, sans que soit défini ce que représente une barbe «normale», tout comme le «voile intégral» pour les femmes et autres «signes extrémistes», dans une région où le voile, la barbe et la calotte brodée font partie de l’habillement traditionnel. Il est désormais aussi illégal de refuser d’écouter et de regarder la télévision et la radio d’Etat, entre autres.

Ces mesures viennent s’ajouter à un déploiement de forces spectaculaire, orchestrées par le nouveau secrétaire régional du Parti communiste, Chen Quanguo. Celui-ci se targue d’appliquer à cette immense région semi-désertique sa méthode de «gestion sociale par le quadrillage» imposée par ses soins au Tibet durant les cinq années précédentes. Des milliers de postes de police ont été installés dans les villes, officiellement pour «servir d’abri aux citoyens contre les intempéries» et les forces de l’ordre ont été renforcées de 30 000 hommes, envoyés parader dans les rues cet hiver. Deux mois après sa prise de poste, en octobre, Chen Quanguo avait confisqué les passeports des 20 millions d’habitants de la province.

Des mercenaires au Xinjiang

Dans un reportage publié le 5 avril, le journaliste de Reuters Philip Wen raconte comment les commerçants de Kashgar, la deuxième ville de la province, doivent se plier  à des exercices d’alerte aux attentats trois fois par jour, et installer, à leurs frais, des portes à codes et des caméras qui filment l’intérieur des magasins. Les contrôles d’identité se sont multipliés, ainsi que celui des téléphones. Les applications interdites, comme la messagerie WhatsApp, sont recherchées, et la vitesse de l’Internet mobile a été rétrogradée de la 4G à la 3G. Une vaste campagne de délation a été lancée, et le GPS est imposé dans toutes les voitures sur une partie du territoire. A Hotan, une ville où l’équivalent de 275 euros de récompense sont offerts pour toute dénonciation de personnes «dont la tête est couverte» ou de «jeunes arborant de longues barbes», l’équipe de de Reuters a assisté à l’inspection des papiers et de l’habillement d’une foule de mille personnes, serrées sur un terrain de basket, et vu des policiers enlever de force le foulard d’une femme d’âge moyen.

Selon les médias d’Etat, les dépenses de sécurité pèsent pour 20% du budget de la province. Un contrat a même été signé ces dernières semaines avec le sulfureux Américain Erik Prince, ancien fondateur de la société de sécurité privée Blackwater, dont des mercenaires avaient commis des exactions en Irak, pour ouvrir au Xinjiang une «base d’entraînement avancée», chargée d’entraîner des agents de sécurité.

 Mosquées détruites

Les 10 millions de Ouïghours (qui ne représentent plus que la moitié des habitants de la province) dénoncent un espionnage à grande échelle et l’accélération de l’assimilation forcée. Selon le Congrès mondial ouïghour, organisation pacifique installée en Allemagne, «les « personnes suspectes » comprennent toute personne qui affiche ouvertement son appartenance à la communauté ouïghoure. La pratique religieuse est considérée comme une « menace pour la sécurité », et depuis juin 2016, près de 50% des mosquées ont été détruites.»

Certes, la menace terroriste est réelle. Ces dernières années, plusieurs attentats ont été commis sur le territoire chinois ou contre les intérêts chinois à l’étranger, et attribués aux militants ouïghours. Plusieurs dizaines de militants ont aussi rejoint les rangs d’Al-Qaeda et de l’Etat islamique, ce dernier menaçant directement la Chine dans une vidéo le 2 mars. Mais la faction islamiste, même encouragée par la répression, ne représente toujours qu’une part minoritaire des autonomistes ouïghours, un mouvement porté par des militants non-violents forcés à l’exil.

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Dans la ville de Kashgar, les commerçants sont forcés de participer à trois « exercices antiterroristes » par jour et d’installer des caméras de surveillance à leurs frais. Photo Thomas Peter. Reuters
Par Laurence Defranoux